Franck Kabran « Un Garçon ne pleure pas »

 

©Image photo : Enfant qui pleure à visage couvert

La rédaction de Éducation Sociale a récemment produit un article sur Le pouvoir thérapeutique des larmes , article où nous avons présenté les attitudes très souvent rencontrées au sein de nos familles et qui à l'avenir se transformaient en une plaie profonde et nous détruisaient ou détruisaient nos enfants. 

Mais ce n'est pas le cas de Franck Kabran, écrivain chercheur Ivoirien qui pense que “un garçon, ça ne pleure pas !”  

Voici l'intégralité de sa pensé sur le sujet : 

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J’ai été élevé à l’africaine. Comme un véritable homme noir avec toute la bonne quantité de stéréotypes que vous pouvez vous imaginer. Ne pas s’inviter dans les discussions des adultes. Appeler tonton ou tantine tous ceux et celles qui nous entourent et qui ont une dizaine d’années d’avance. Sourire tout le temps car garder la mine fermée est irrévérencieux et rend laid. Danser pour nos oncles et tantes quand on nous le demande, même quand nous n’en avons pas envie ou que nous sommes naturellement timides. Je pourrai passionnément rallonger encore un peu la liste.

Mais si je devais être laconique, et s’il y a une phrase que j’ai entendu le plus souvent en grandissant, c’est bien ‘’Tais-toi’’ !

Le tais-toi que mes aimables parents me sortaient en même temps qu’ils me donnaient des coups pour me corriger, ou le tais-toi qu’ils me disaient quand je donnais avec frénésie ma version des faits d’une querelle avec mon cousin…..Ou peut-être aussi cet autre ‘’tais-toi’’ qui était suivi de ‘’je vais te gifler hein’’. Celui-là, un peu plus effrayant était un tir de sommation. Il arrivait principalement quand je m’engageais dans quelque chose d’agaçant comme une plainte interminable ou une demande gênante mais sincère qui venait d’un petit cœur de 7 ans. 

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Peu de gens comprennent l’éducation masculine et l’éducation africaine. Ou peut-être devrais-je dire l’éducation masculine africaine.

Peu de gens comprennent l’esprit de compétition d’un homme comme nous, ses complexes lorsqu’il a les poches vides, son sentiment d’infériorité quand il est face à un autre homme mieux nanti, ou la perpétuelle pression de l’obligation de résultat que nous avons. Peu de gens comprennent nos insomnies, nos larmes qui ne coulent qu’à l’intérieur parce que dans la réalité, ‘’garçon ne pleure pas’’. 

Très peu de gens savent ce qu’un homme ressent quand il est fait cocu. D’ailleurs nous-mêmes nous arrivons rarement à exprimer ce que nous ressentons dans ces cas-là, tant la douleur est vive et présente à de multiples endroits, laissant peu de place à l’introspection et à la réflexion.

Je vois d’ici un syndicat de femme qui me dira ‘’ Toi-là tu sais ce que nous les femmes aussi on ressent ? ‘’ Calmez-vous. Tout le monde sera satisfait à la fin. Enfin… j’espère 😏  

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Déjà, d’aussi loin que je me souvienne, l’esprit de compétition a toujours fait partie de mon éducation d’homme. Enfants, mes amis et moi étions toujours obnubilés par l’idée de savoir qui est le plus fort physiquement, qui est le plus résistant dans les luttes, qui est le plus rapide dans les courses. Et quand nous jouions avec nos pistolets en plastiques. Excusez-moi ce mauvais jeu de mots. Je crois que ce café serré que je bois en écrivant ne m’aide pas trop. Et ce n’est pas mon addiction qui va y remédier. Mais parlant de remède, il y en avait un que mon père me donnait les rares fois que je rentrais à la maison en pleurant, malheureux perdant d’une bagarre avec un enfant de mon âge. Le vieux me frappait encore et me renvoyait dehors laver l’affront.

- Garçon pleure pas !

- Garçon n’a pas peur !

- Garçon parle pas beaucoup !

- Garçon recule pas !

Que de clichés à travers lesquels je me suis construit. La dernière fois que j’ai pleuré… je ne m’en souviens même plus. Pourtant ce ne sont pas les occasions, ni l’envie qui manquent. De la frustration, de la rage, de la colère, superposée dans une poitrine, derrière une belle armature de pectoraux et d’abdos pour certains. 

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Le fameux tais-toi de mon enfance.

Tellement ancré dans nos syntaxes masculines que même entre copains, certaines conversations demeurent taboues. Combien d’hommes ont le courage d’aborder le sujet de l’éjaculation précoce, de la dépression, de la solitude, des problèmes financiers, ou autre ? Combien soignent leur manque d’amour et de confiance en soi dans la polygamie, l’addiction à l’alcool ou dans les jeux de hasard ? Combien de femmes sont prêtes à tendre l’oreille à un homme qui n’y arrive pas financièrement ? Pertinente la question l’est, sans toutefois mettre à l’index nos mères et épouses puisque nos sociétés entières se veulent phallocrates. Mais ça c’est un autre débat, peut-être pour une prochaine nouvelle.

Quand un frère de promotion ou autre réussit, bien sûr que je suis heureux avec lui, pour lui. Mais la minute d’après, je songe à mon propre sort. Je m’impatiente encore un peu plus pour *le jour de mon jour.

En général, c’est compliqué pour un homme d’expliquer à un autre l’infidélité d’une copine. Parce qu’après la seule option qui reste est la rupture, malgré les sentiments qui pourraient subsister. Sinon, il faudra accepter de vivre avec la blouse humiliante de l’homme faible.

Quand un proche s’achète une voiture avant moi, ça me met la pression. Quand un autre a une promotion avant moi, ça me met la pression. Quand j’apprends qu’une connaissance est devenue entrepreneur et qu’elle cartonne, ça me met une foutue pression. Ce n’est ni de l’envie, ni de la jalousie. C’est le reflet de mon éducation, de ma condition d’homme en compétition perpétuelle dans notre société actuelle.

Comme plusieurs autres hommes, j’adore le football. Pour la compétition. J’adore voir Coton Sport de Garoua, Manchester United ou le FC Barcelone gagner. Bon en ce moment ça arrive une fois sur deux pour les deux dernières équipes, c’est vrai.

Mais je jubile à chaque but que mon équipe met, à chaque fois que l’adversaire est défait. Je suis tristement amoureux de la performance. Et le paradoxe est que c’est fragilisant.

Au fur et à mesure que je grandis, j’apprends mais surtout je réalise combien il est important de se rééduquer sur certaines notions et de s’autoriser à vivre selon des règles moins anxiogènes. Parler quand on en a envie, pleurer quand on en a envie, mais pas trop quand même parce que finalement, j’ai accepté que garçon pleure. Mais bon, pas beaucoup… et sous le robinet de la douche. 

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Et pour revenir à cette question d’infidélité, je ne connais aucun homme qui ne prendrait pas personnellement l’infidélité de sa copine. C’est comme réaliser qu’un autre homme a un pistolet plus gros que le nôtre, plus fort que nous, plus rapide que nous, plus résistant que nous, plus intelligent que nous… Contrairement aux femmes, nous ramenons surtout la situation à nous. Vautrés dans notre égocentrisme, notre esprit de compétition et notre machisme, à parts égales.

Pour clore ce sujet, j’ai deux questions à vous poser.

Si vous avez une clé qui OUVRE votre serrure et celle du voisin, jetterez-vous la clé ?

Maintenant si vous avez sur votre porte une serrure que la clé du voisin aussi ouvre, garderez-vous la serrure ?

Je conçois totalement que la douleur de l’infidélité est bien réelle pour chacun des deux sexes. Mais différente pour nous les hommes.

Quant aux pressions sociales, j’attends encore d’être convaincu par le syndicat des femmes. Parce que jusque-là, j’ai surtout rencontré des femmes qui se mettent bizarrement beaucoup de pression pour pimenter un peu leur vie.

Alors, qu'en pensez-vous ? 🤔 

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